Mieux comprendre les CGU des services de partage de photos

Anthony Nelzin-Santos |

La mise à jour des conditions d’utilisation d’Instagram a provoqué une vague de départ vers d’autres services… qui s’arrogent rigoureusement les mêmes droits. Quelles sont les conditions d’utilisation des principaux réseaux de partage de photos ?







Les services « essayés »



Nous avons décortiqué les conditions générales d’utilisation d’une dizaine de services permettant d’une manière ou d’une autre de partager des photos en ligne. On y trouve :





L’idée n’est pas de décerner la palme du service « le plus sympa avec les photographes » : c’est à vous, en fonction de vos besoins et des services rendus, de décider quelles conditions sont acceptables et qui choisir. Nous allons plutôt essayer de mieux comprendre ces CGU trop souvent ignorées, alors qu’elles sont incontournables.



Par « CGU », nous désignons des conditions générales d’utilisation, appelées « terms of service » (TOS) en anglais. La plupart, y compris chez les Français de la sélection, sont en anglais. Même si certains contrats ont été traduits en français, nous avons donc utilisé la version anglaise comme référence.



La propriété des images



Tous les services sont clairs, vos photos restent votre propriété — mais il y a plusieurs manières de le dire. La définition la plus commune est négative : elle consiste à dire que le service ne « revendique aucun droit » sur les contenus que vous publiez (Dropbox, Flickr, iCloud, Instagram, Snaptime). La deuxième est positive : elle consiste à dire que vous « conservez tous les droits » sur les contenus que vous publiez (500px, Facebook, Google+, Path, Starmatic, Tumblr, Twitter). Google ajoute « ce qui est à vous reste à vous. »



Ce qui est parfaitement vrai : les contrats ne peuvent aller à l’encontre de la loi, et ne peuvent donc vous faire abdiquer l’intégralité de votre propriété intellectuelle (notamment votre droit moral). Tous ces contrats sont en fait des contrats de licence : vous concédez au service une licence qui lui permet d’exploiter vos images. Vos originaux sont votre propriété, sur laquelle ces services ne peuvent revendiquer aucun droit. Les choses sont un peu plus complexes pour les copies partagées sur ces réseaux, qui peuvent parfois différer de l’original (après application d’un filtre par exemple).





La licence



Les choses sont un peu plus complexes, mais tiennent en général en une ligne contenant un certain nombre de termes très précis. Voici les plus courants :




  • non exclusive : vous pouvez licencier vos photos à un autre service ;

  • royalty free / fully paid (à titre gratuit) : le service ne vous versera aucune compensation au titre de cette licence ;

  • worldwide (mondiale) : la licence s’applique dans le monde entier ;

  • transferable (transférable) : la licence peut être transférée à un tiers qui obtiendra donc les mêmes droits ;

  • sub-licensable (sous-licenciable) : le contenu couvert par la licence peut-être licencié à un tiers, potentiellement contre compensation financière, potentiellement avec d’autres droits ;

  • in connection with the service / through the service (via le service) : la licence peut potentiellement s’appliquer aux contenus accessibles par des liens publiés sur le service ;

  • irrevocable (irrévocable) : la licence n’expire jamais ;

  • perpetual (perpétuelle) : la licence n’a pas besoin d’être renouvelée, elle se renouvelle automatiquement ;

  • en l’absence de deux termes précédents, diverses formulations peuvent préciser la durée de cette licence.



Ces mots sont là pour autoriser, mais aussi pour limiter : l’absence d’une formule ne veut pas dire qu’une licence protège mieux qu’une autre qui la posséderait. Path ou Dropbox n’utilise par exemple aucun de ces termes : les conditions sont assez claires par ailleurs pour que l’on comprenne où sont les limites, mais chez d’autres, cette absence pourrait poser problème.



Les fins techniques



Aucun service ne pourrait en fait fonctionner sans une licence à titre gratuit non exclusive et mondiale. Dropbox n’utilise pas ce vocabulaire, mais explique l’impératif de cette licence :




Nous pouvons avoir besoin de votre autorisation pour faire ce que vous nous demandez, par exemple pour héberger vos fichiers ou les partager à votre convenance. Cela concerne les fonctionnalités que nous mettons à votre disposition, telles que les miniatures d’images ou les aperçus de documents, mais aussi les choix de conception que nous prenons pour administrer nos Services sur le plan technique, par exemple lorsque nous choisissons d’effectuer une sauvegarde redondante des données pour leur sécurité. Vous nous accordez donc les autorisations dont nous avons besoin dans le seul objectif de vous fournir les Services. Ces autorisations s’appliquent également aux tiers de confiance avec lesquels nous travaillons pour fournir les Services, par exemple Amazon qui fournit notre espace de stockage (toujours dans le seul objectif de vous fournir les Services).






Flickr confirme :




La licence donne à Flickr le droit de fournir le service Flickr, par exemple de créer [les différentes tailles d'image], d’afficher vos photos sur le site, etc.




L’idée est simple, mais le langage juridique ne l’est pas et peut vous induire en erreur : pour ne serait-ce qu’afficher vos images, le service doit en fait être sûr que vous ne lui réclamerez pas de royalties, et il a besoin que la licence s’applique à l’intégralité des pays où ces images seraient affichées ou stockées (avec un CDN par exemple). La clause de non-exclusivité vous permet d’utiliser plusieurs services concurrents. C’est tout.



La plupart des sociétés précisent d’ailleurs le cadre de cette licence de base. Apple ou Flickr insistent sur le fait qu’elles se limitent au service que vous avez demandé, uniquement aux fins pour lesquelles le contenu a été publié. Google, qui possède désormais un contrat unique pour tous ses services, doit au contraire prévoir les situations où un contenu publié à un endroit pourrait être utilisé ailleurs à une autre fin (Google Translate par exemple) :




En soumettant des contenus à nos Services, par importation ou par tout autre moyen, vous accordez à Google (et à toute personne travaillant avec Google) une licence, dans le monde entier, d’utilisation, d’hébergement, de stockage, de reproduction, de modification, de création d’œuvres dérivées (des traductions, des adaptations ou d’autres modifications destinées à améliorer le fonctionnement de vos contenus par le biais de nos Services), de communication, de publication, de représentation publique, d’affichage ou de distribution public desdits contenus. Les droits que vous accordez dans le cadre de cette licence sont limités à l’exploitation, la promotion ou à l’amélioration de nos Services, ou au développement de nouveaux Services.




Les fins commerciales



Apple, Flickr, Google, Snaptime et Twitter se limitent à cette licence de base, mais d’autres services prévoient des situations spécifiques qui sont le plus souvent liées à des impératifs commerciaux. La controverse autour d’Instagram vient en très grande partie de l’ajout de la transférabilité et de la sous-licence : Facebook a désormais le droit de puiser dans les contenus d’Instagram, par exemple pour personnaliser des publicités, et Instagram peut concéder une licence de vos photos à un tiers.




Flickr a une page assez bien faite expliquant la licence Creative Commons qu'elle met à disposition des utilisateurs


On retrouve ces clauses chez 500px, Facebook ou Tumblr, et celle de sous-licence chez Starmatic. Ce dernier mentionne la sous-licence à un autre « média » : son co-fondateur Arnaud de Lummen nous a expliqué qu’il s’agissait « de couvrir un blog affilié à l’occasion d’un événement photo où les photos des utilisateurs Starmatic peuvent être diffusées en dehors de Starmatic ». Il s’agit en fait là d’auto-promotion, un usage courant de ces clauses.



Est-ce que vos contenus peuvent être utilisés pour promouvoir un tiers ? Cette question n’est jamais tranchée dans les CGU. Starmatic compte par exemple mettre à jour ses conditions pour être plus clair sur ce point :




Nous allons devoir clarifier un certain nombre de points pour éviter des interprétations erronées et préciser noir sur blanc que nous n’allons pas monétiser le contenu des utilisateurs.




Kevin Systrom, le co-fondateur d’Instagram, a promis que vos photos ne seraient pas utilisées à des fins publicitaires — mais il s’agit d’une promesse, et pas d’un contrat. Instagram peut néanmoins utiliser votre pseudonyme et votre avatar pour des publicités utilisant des mécanismes de recommandation, comme le fait Facebook — et compte le faire.



Gardez donc à l’esprit que si une licence porte les mots « transferable » et « sub-licensable », elle peut facilement utiliser vos contenus à des fins commerciales. Comme les contours de cette utilisation sont rarement définis, il faut vous renseigner par ailleurs.





La durée d’exploitation



La dernière partie de la licence aborde en général la question de la durée de la licence, mais c’est malheureusement le point le souvent « oublié ». La licence qu’ont 500px, Flickr ou Twitter sur vos contenus disparaît au moment où vous supprimez vos photos de leur plateforme. Facebook fait de même, à part dans le cas où vos contenus ont été repris par d’autres utilisateurs qui ne les ont pas effacés. Tumblr, qui encourage la reprise de contenus, va un peu plus loin dans ses explications :




Veuillez noter que cette licence perdure même si vous arrêtez d’utiliser nos services, notamment à cause de la nature sociale du contenu partagé à travers nos services — lorsque vous publiez quelque chose, d’autres peuvent choisir de le commenter, faisant de votre contenu une partie d’une conversation sociale qui ne peut être ensuite effacée sans censurer rétroactivement la parole d’autrui.




Google prend moins de gants : sa licence demeure « pour toute la durée légale de protection de votre contenu, même si vous cessez d’utiliser [ses] services. » Dans notre échantillon, Starmatic fait figure d’exception en s’octroyant une licence perpétuelle et irrévocable [MàJ 19/12/2012 13h30 : Starmatic a mis à jour ses CGU pour enlever cette clause, la licence se terminant désormais à la suppression de vos photos.].



Dropbox et Path ne précisent pas la durée de la licence, comme Apple, Instagram, Snaptime et Twitter.



Les limitations de responsabilité



Les CGU ne se limitent pas à cette licence : elles comportent aussi de nombreuses clauses qui définissent vos droits (rectification des données par exemple) et devoirs (interdiction d’enfreindre la propriété intellectuelle d’autrui par exemple) et qui définissent les droits et devoirs du fournisseur de service. Et peuvent aussi l’exonérer en cas de problèmes. Apprenez notamment à repérer les sections qui mentionnent la suppression de contenu ou de comptes, qui sont souvent aussi importantes que la licence, si ce n’est plus.




Facebook a récemment supprimé cette image, alors qu'elle n'a rien de choquant



Tous les services se réservent le droit de supprimer votre compte ou de fermer votre compte en cas de violation des termes du contrat. La cause la plus fréquente est la violation de la propriété intellectuelle d’autrui, mais les raisons sont parfois un peu plus larges et peu plus vagues, ouvrant la porte à autant de problèmes potentiels. Apple peut par exemple supprimer votre compte si vous utilisez ses services pour « publier, […] transmettre, conserver ou rendre disponible » du contenu « nuisible », « injurieux », « violent », « obscène » ou encore « vulgaire » et « choquant ».



Reste à savoir ce que ces termes vagues désignent exactement : un photographe de nus qui utiliserait le flux de photos pourrait-il voir ses photos supprimées ? En l’absence de termes clairs, il faut là encore se renseigner : pudibonde sur l’App Store, Apple n’a par ailleurs jamais utilisé de pouvoirs discrétionnaires sur iCloud. Facebook a au contraire la main lourde et n’hésite pas à supprimer toute photo montrant un peu trop de peau. Flickr ou 500px, au contraire, ont prévu une classification « adulte ».



Si vous utilisez professionnellement ces services, méfiez-vous aussi des services qui s’exonèrent en cas de problèmes techniques et notamment en cas de suppression injustifiée. C’est souvent le cas sur les services gratuits, alors que plusieurs services payants intègrent un accord de niveau de service.



Bref, le mieux à faire est de lire ces fameuses CGU, ou du moins de cibler ces quelques passages importants. Vos contenus valent sans doute les cinq minutes que cela vous prendra.

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#CGU
avatar macbookintel | 
C'est presque intéressant. Vous pourriez développer comment ces entreprises pourraient utiliser nos médias et comment cela pourrait nous nuire ou nous exploiter.
avatar Armas | 
Je vous invite à jeter un oeil à ce service fort sympathique qui refere et simplifie les conditions d'utilisation : ---- ---- ---- http://tos-dr.info/ ---- ---- ----
avatar PECourtejoie | 
Il y a aussi Revel qui est maintenant en version gratuite: http://blogs.adobe.com/photoshopdotcom/2012/12/free-version-of-adobe-revel-now-available.html
avatar nastytheking | 
Le cas instagram pose un problème juridique au niveau français. Le droit d'auteur français est ultra protecteur, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. En france, une cession de droits d'auteurs sur une oeuvre future est nulle et ne vaut rien légalement. En d'autres termes, instagram qui s'octroie les droits sur toutes vos futures photos sur simple acceptation des CGV est en réalité dans l'illégalité en france. Bien sûr la majeure partie des gens ne vont pas aller attaquer instagram pour avoir vendu leur photo de choco pops, et ils jouent avec leur poids pour en profiter bien grassement. Mais, dans le cas où un vrai photographe francais qui poste sur instagram (oui il peut y avoir de vrais photographes, qui utilisent juste le service pour son aspect social), voit sa photo francaise utilisée partout, et qu'il a de quoi engager des poursuites, sera dans son droit auprès du droit français. Bref, ca va être folklorique
avatar McFlan | 
Attaquer Instagram en France ? C'est une société américaine, soumise au droit américain, avec des serveurs situés aux États-Unis. Le droit français n'est pas applicable. L'entreprise ne se donnera sûrement même pas la peine de répondre à votre courrier puisqu'elle ne risque rien.
avatar Mark Twang | 
Il y en a qui n'ont pas compris que ce sont les coudes de la dame qu'on voit.
avatar Pax | 
C'est vrai ça: j'ai d'abord vu des boobies greffés sur un corps d'alien avant de réaliser la gentillesse de la photo (et de la madame que l'on voit).
avatar hartgers | 
@mark twang : l'esprit humain est souvent déplacé. Je n'ai pas vu des coudes...

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