Interview : InDesign fête ses 10 ans

Christophe Laporte |
Il y a dix ans, le 31 août 1999, Adobe secouait à nouveau le monde de la PAO en lançant InDesign (sur Mac OS 8.5, Windows 98 et NT 4.0), un logiciel de mise en page développé sur les fonds baptismaux de PageMaker et mis au point pour réaliser l'ascension d'un sommet : QuarkXPress. Ce dernier commandait le marché mais Adobe pouvait compter à la fois sur sa légitimité, sur ses produits (de Photoshop à PageMaker) et sur les faiblesses de son adversaire. Un XPress taxé d'immobilisme et dont l'éditeur Quark avait des relations souvent conflictuelles avec ses clients. 10 ans plus tard QuarkXPress est toujours là, l'entreprise s'est refait une image et son produit a évolué. Mais Adobe a néanmoins gagné son pari en réussissant à installer son logiciel jusqu'à en faire une vraie et solide alternative sinon un remplaçant tout court. Cet anniversaire était l'occasion de revenir sur la génèse d'InDesign avec Branislav Milic. Ce formateur belge, devenu un spécialiste reconnu de ce logiciel raconte également sur son blog comment cette application a tout simplement changé sa vie, à tous points de vue.

MacGeneration : Racontez-nous comment vous avez découvert Adobe InDesign ?

Branislav Milic : Il faut d'abord situer cette découverte dans une période (1998) où j'avais abandonné la mise en page papier à cause de QuarkXPress que je connaissais pourtant très bien. Ses lacunes en créativité, l'absence de transparence, pas de gestion des tableaux et un rechercher/remplacer basique,... avaient épuisé ma dernière patience. Je m'étais alors tourné vers l'apprentissage intensif du Web et de la vidéo numérique en pleine expansion à l'époque. En décembre 1998 un vent favorable déposa dans ma boîte aux lettres une bêta d'InDesign. Là ce fut une sorte de révélation : sous la souris, un sentiment de puissance avec une architecture plus ouverte, des concepts décuplant les possibilités en production, des fonctions typographiques exceptionnelles,… bref cela donnait envie de refaire de la mise en page ! C'est là que m'est venue l'idée de préparer en secret un site en juillet 1999 et de le mettre en ligne dès le logiciel annoncé, à savoir début septembre 1999.

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Le logiciel d'Adobe fête ses dix ans. Quels furent finalement ses plus grands apports en PAO ?

BM : InDesign a répondu aux nombreuses attentes des graphistes et metteurs en page, attentes plutôt ignorées par Quark qui s'était reposée sur ses lauriers. Devant le constat de relatif abandon par Quark de l'écoute de ses utilisateurs, Adobe, qui réserva PageMaker à un marché intermédiaire (associations, administrations, professions libérales,…), décida dès 1993 de mettre le paquet sur un logiciel qui allait rassembler toutes les technologies que Quark ne maîtrisait pas : gestion des images et des effets par Photoshop, gestion vectorielle d'Illustrator, acquis du PDF devenu le standard de facto,… et finalement en intégrant toutes les remarques et suggestions des utilisateurs déçus de QuarkXPress. Mélangez le tout et voilà InDesign.

InDesign n'est pas encore parfait, quelles sont ses principales lacunes ?

BM : La fonction "Notes de bas de page" n'est à mon avis utilisable que dans le cadre d'un livre simple et c'est tout. Les tableaux n'ont plus évolués depuis la version CS. Réaliser des documents en plusieurs versions linguistiques est pour moi assez difficile dans InDesign tant que les variables ne pourront être césurées, tant que les objets seront ramenés sur un même calque lorsqu'ils sont groupés, tant que les sections seront globales à tout le document et non par version de langue (idem pour les métadonnées)… InDesign a été pensé dans les années 1990 sans tenir compte de la possibilité qu'un document puisse être décliné en plusieurs langues et c'est le principal reproche que j'adresse à Adobe qui ne voit pas plus loin que le marché anglophone. Changer les choses est assez difficile car cela viendrait à modifier le micro-noyau de l'application qui nécessite des années de développement. Totalement incompréhensible alors que dans certains États des États-Unis, l'espagnol fait jeu égal avec l'anglais.

Dans le domaine des arts graphiques, y a-t-il un logiciel à qui cela ferait du bien de voir débarquer un "concurrent" comme InDesign l'a fait en son temps ?

BM : Il y a quelques temps, j'avais eu une discussion publique, épique et mémorable avec un défenseur des logiciels open source. Il affirmait mordicus que GIMP pouvait rivaliser avec Photoshop. Je suis toujours prêt à faire de nouvelles découvertes et on a fait un comparatif, non pas sur des fonctions bien précises mais dans le cadre d'un projet réel où les créatifs, les metteurs en page, les opérateurs pré-presse avaient des exigences… Autant dire que la salle a finalement rigolé devant les soubresauts de GIMP face aux sauts de géant de Photoshop malgré ses bugs et limitations.

Dit autrement, Adobe est tellement devenu synonyme des arts graphiques avec des communautés d'utilisateurs et des experts à leur service que la situation n'est pas près de changer. Ce que je vais vous dire va peut-être vous étonner mais InDesign a besoin d'un mini-InDesign ou d'un InDesign Elements car le logiciel est en train de devenir un programme tellement riche en fonctions qu'il faut des années à un utilisateur lambda pour en maîtriser tous les rouages. À cet égard, j'adore Pages d'Apple qui peut réaliser depuis sa première version toute une série de choses qu'InDesign n'est pas capable de faire. J'ai alerté Adobe sur cette inflation de fonctions mais ce n'est pas près de s'arrêter. Sans trahir de secret je suis très excité par les développements confidentiels en cours qui seront disponibles sur nos ordinateurs dans trois ou quatre ans.

Est-ce que l'on peut évaluer la part de marché d'InDesign aujourd'hui par rapport à QuarkXPress ?

BM : InDesign 2.0, avec la gestion de la transparence et des tableaux, a été la chiquenaude qui a tout fait basculer. Le nombre de sociétés qui ont commencé à switcher à partir de cette version a augmenté de façon exponentielle… Après une heure de formation sur la 2.0 ou la CS, les gens étaient littéralement dégoûtés et ne voulaient plus toucher à QuarkXPress. Je n'ai pas de chiffre précis mais les carnets de commandes des différents formateurs indiquent fort probablement un taux de pénétration entre 80 et 90% en usage quotidien.

En vous entendant parler de la réaction des switcheurs, vous avez dû vivre quelques grands moments…

BM : Oh que oui… des histoires incroyables, des chocs culturels, des moments jouissifs quand, devant des centaines d'Américains, je montrais des trucs et astuces qui permettaient de réaliser ce que beaucoup d'experts pensaient impossibles même avec InDesign. J'ai aussi vécu une certaine mauvais foi des utilisateurs de QuarkXPress qui s'immiscaient dans le débat InDesign Vs QuarkXPress alors qu'ils avaient à peine touché "Indy", voire pas du tout… De toute façon personne n'avait osé relever mon fameux défi de composer un document long en une heure en mettant face à face les deux logiciels… QuarkXPress ne pouvait qu'être perdant sur toute la ligne depuis InDesign 2.0 (à savoir depuis l'année 2002). Les faits sont objectifs, noir sur blanc.

Allez, une anecdote succulente…

BM : Pas une, une bonne dizaine ! Le représentant de Quark aux Pays-Bas qui, devant InDesign 2.0, s'exclama en public : "La transparence en mise en page ? C'est vraiment n'importe quoi…". Ou lorsqu'à deux reprises je reçus un mail incendiaire via mon site en raison des lacunes d'InDesign, ces personnes pensant que j'étais l'éditeur du logiciel tellement mon nom était associé à "Indy" ! InDesign a complètement changé ma vie : changement de travail et d'habitudes, des dizaines de voyages, des rencontres humaines exceptionnelles,…

Quelles sont maintenant les prochaines grandes tendances selon vous pour InDesign et la PAO de manière générale ? Est-ce que les enjeux de la PAO n'ont pas évolué en 10 ans avec l'arrivée du web ?

BM : Effectivement, le print et le web sont condamnés à communiquer en temps réel et depuis deux versions, avec les fonctions XML, il y a déjà moyen d'établir des ponts intéressants rendant une mise en page papier quasi prête pour une déclinaison Web. N'oubliez pas qu'Adobe c'est aussi les formats Flash, Flash Vidéo, PDF,… et quand tous les ingénieurs d'Adobe décident de se rencontrer autour d'une table (une machine de guerre redoutable) pour faire communiquer entre-eux InDesign, InDesign Server, Illustrator, Flash, Flex,… et des serveurs de bases de données, les perspectives sont colossales. Les utilisateurs d'InDesign n'ont encore rien vu, je vous le promets…
avatar funatik2k | 

Tiens une interview de mister melon. Mister Melon avec capitales, pardon.

avatar SolMJ | 

En tout cas son site est loin d'être "inDesign" lui :
http://www.milic.com/indesign/infos/index.html

avatar divadesiles | 

P...tain ! 10 ans déjà !!!... que je n'utilise plus Xpress ! Et peu de chance pour que j'y retourne !

avatar momo-fr | 

Pour moi il n'y a pas photo, Xpress à perdu sa place pour la mise en page, catalogue et plaquette sont bien plus facile à gérer et surtout l'import et la gestion des fichiers .psd c'est d'une souplesse inégalé, détourages soignés, fusion, calques… je viens de voir un catalogue de 780 pages me passer sous les yeux dans Indesign CS3 pour correction (flux Xinet + Incatalog et Swing Pdf pour épreuvage GMG).

avatar Arpee | 

Et moi, j'ai décidé de ne plus payer pour leurs mises à jour scandaleusement hors de prix. 2x plus cher qu'aux USA.

avatar SolMJ | 

c'est clair que payer 300 euros par mise à jour par logiciel, faut être motivé si on utilise toute la suite adobe vu la fréquence à laquelle ils sortent leur maj pour rester à jour...

avatar El magnifico | 

Mouaip, je n'ai jamais accroché à inDesing. Je reste sur mon Xpress tout pourri, mais qu'au moins je maîtrise parfaitement.

avatar funatik2k | 

@ El magnifico

Faut s'adapter… et le jour où tu vas devoir refuser un boulot parce que tu ne sauras pas travailler sur InDesign ?

avatar makidoko | 

[quote]Et moi, j'ai décidé de ne plus payer pour leurs mises à jour scandaleusement hors de prix. 2x plus cher qu'aux USA. [/quote]
Justement, à ce sujet, quelqu'un saurait-il m'éclairer sur les "risques" à acheter une version linguistique FR sur le site US?
Parce que grosso-modo : 1015€ sur le store FR, 699$ sur le store US soit 430€ (si on rajoute la tva ça nous fait grosso modo 520€)
Cette taxe transatlantique est sûrement due au salaire des rameurs qui ont amené les copies dans une chaloupe, mais elle n'en demeure pas moins indécente.
Alors y'a-t-il des contre indications et restrictions (licence, fonctionnalités sur une timezone ou autre, support...)?

avatar SolMJ | 

makidoko > les risques ? concrètement je n'en sais rien, mais ça reste illégal, la licence US est valable sur le territoire US uniquement, donc voilà à toi de voir si ça vaut le coup de payer 520 € pour être dans l'illégalité (pour moi c'est tout vu).

avatar studdywax | 

Pareil, j'ai appris mon metier sur Xpress, mais j'ai surtout appris à m'en débarrasser (même si à chaque grosse version d'Xpress je jette un coup d'oeil..) : je me sens beaucoup mieux sur InDesign..

ah et je voulais rajouter que le monsieur interviewé, he bien son blog est vraiment illisible avec son fond bleu ! c'est incroyable de faire ça encore

avatar YARK | 

Je viens de recevoir une offre d'évaluation de Quark X Press de 60 jours !!!
Ben, dis donc, il est loin le temps du dongle !!!
Ceci dit, la dernière version d'InDesign commence à avoir un peu trop de palettes à mon goût.
Va falloir penser sérieusement à un 2ème écran pour celles-ci...

avatar Florian Innocente | 

@ momo-fr : "un catalogue de 780 pages me passer sous les yeux dans Indesign CS3"

C'est donc toi l'homme qui voit le premier le catalogue de La Redoute. T'as des tuyaux sur les prix 2010 ? :-)

avatar Finouche | 

Ben moi c'est ni l'un ni l'autre. Ce sera Freehand jusqu'à ce que mort s'en suive.

avatar nlex | 

@ BM

Est-ce que tu sais si Adobe compte réparer un jour la fonction d'impression en RVB (sans RIP) qui ne marche plus depuis la CS3 ?

De plus des tas de bugs encore dans l'import Word (un exemple parmi : impossible de sauvegarder la table de conversions des styles, qui marchait sur CS3), de fonctions maquantes (notes de fin de chapitre ? Notes impossibles à mettre ailleurs qu'en bas des blocs…).

J'ai l'impression que plus on avance, plus Adobe rajoute des petits bugs, jamais corrigés, qui nous pourrissent la vie au quotidien. On dirait qu'ils sont seulement intéressés par l'ajout de nouvelles fonctions et de nouvelles interfaces…

J'aimerais une mise à jour du genre Snow Leopard : corriger toutes les petits merdouille, et mettre à 30€… Je rêve biensur…

avatar nlex | 

@ SolMJ

Ok c'est dans les closes, mais ya pleins de closes illégales. L'important c'est ce que dit le droit Français et Européen !

Un avocat dans la salle ?

avatar SolMJ | 

"@ SolMJ

Ok c'est dans les closes, mais ya pleins de closes illégales. L'important c'est ce que dit le droit Français et Européen !

Un avocat dans la salle ?"

C'est vrai je me suis un peu emporté ;-)

D'ailleurs la réponse à la question de la légalité d'un point de vue du droit français de l'utilisation d'une licence US d'un logiciel en France m'intéresse aussi.

avatar Hasgarn | 

@ El magnifico: mais oui tu l'aimes ton X-Press, et tu fais de super trucs avec ;)
De toute façon le talent n'est pas une question de soft.

avatar PePeLaJoie | 

Acheter un logiciel aux USA, l'installer sur son portable et revenir en Europe, même si c'est indiqué comme étant interdit par Adobe dans sa licence, n'est pas interdit par les gouvernements. Si le gouvernement américain n'a pas mis d'embargo sur la France concernant des logiciels non sensibles pour leur sûreté intérieure, le commerce mondial et ses libertés tant prônées par l'Amérique capitaliste vous autorisent à acheter aux USA. Les règles édictées par une société dans sa licence logicielle ne peuvent être contraignantes si une loi ne va pas dans le même sens.

avatar PePeLaJoie | 

De toute façon, pour Quark, la messe est dite!

avatar PePeLaJoie | 

Ils se tournent vers des solutions de publication en masse pour de très grandes sociétés.

avatar AroBreizh | 

Perso j'ai abandonné définitivement xPress à l'arrivée de la version 2.0 d'InDesign.
Une maquette construite dans InDesign devenant alors 20% plus sympa que dans xPress pour un temps de mise en page équivalent, ou 20% moins longue à réaliser pour une qualité égale...
Qualité, rapidité et confort donc, même s'il ne faut pas oublier que les CS demandent une config plus lourde qu'xPress pour tourner en souplesse.

avatar AKZ | 

Je ne sais pas pourquoi mais les déclarations de branislav m'ont toujours un peu gonflé. On dirait qu'Indesign, c'est sa nana !
De notre coté, ça fait longtemps qu'on a pratiquement plus le choix pour les logiciels de PAO et du Web et qu'on est condamnés à utiliser les logiciels d'Adobe en subissant leurs interfaces "adaubesques" (lourdes) et toujours pas unifiées, leurs bugs réccurants, leurs installateurs qui ne nous laissent plus le choix de ranger les programmes ou l'on veut, leurs systèmes d'activation qui nous emmerdent et surtout leurs mises à jour à des prix abusifs (en France). Je précise qu'après avoir essayé de commander CS4 aux états unis sans succès, j'ai dû l'acheter en France avec l'impression d'avoir un pistolet sur la tempe !

avatar PePeLaJoie | 

Le mec n'est pas devenu une référence sans que le soft ne soit devenu en quelque sorte sa nana! Et quand on est passionné, je trouve encore plus chouette de diffuser sa passion pour le bien des autres graphistes. Libre à toi de ne pas lire et de zapper son avis.

avatar PePeLaJoie | 

Et j'y pense, si tu aurais l'occasion d'assister à l'une de ses confs gratuites tu n'hésiterais pas car on y apprend vachement plein de trucs d'experts. Et se priver volontairement de sa passion ben c'est nul. Bien à toi :)

avatar Halx | 

J'en ai rien à péter des fonctions de publication web d'Indesign... je suis graphiste papier, pas web, par choix. Serait-il possible de publier un InDesign Print se limitant à ce secteur et à prix inférieur ? Quitte à payer pour l'update web si le besoin s'en fait sentir. Je rêve…

avatar Florian Innocente | 

"Je ne sais pas pourquoi mais les déclarations de branislav m'ont toujours un peu gonflé. On dirait qu'Indesign, c'est sa nana ! "

Si tu lis son billet sur son blog (vf le lien dans l'intro) c'est un peu devenu ça on dirait...

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